GENÈVE (histoire)

GENÈVE (histoire)
GENÈVE (histoire)

Le destin historique de Genève est l’un des plus singuliers des métropoles européennes. Son rôle mondial est sans commune mesure avec les conditions naturelles de son site et de son proche environnement. C’est le facteur politique et spirituel qui rend compte de sa fortune.

Nœud de voies de communications à l’orée du monde alpin, Genève est, au Moyen Âge, une ville de foires et un carrefour économique dont la maison de Savoie, le prince-évêque et les habitants se disputent l’hégémonie. Après le déclin des foires, l’inquiétude religieuse de la Renaissance trouve, dans sa population cosmopolite, un terrain propice, et le rejet de la tutelle de Rome va de pair avec la lutte pour l’autonomie politique. L’afflux des réfugiés permet à la «cité-église» de Calvin de bénéficier des talents d’une élite européenne et d’affirmer son indépendance en face de la France et du Piémont. Tandis que se nouent les premiers liens avec les cantons suisses, Genève développe l’art de l’orfèvrerie et l’artisanat horloger dont les bénéfices sont investis dans la banque. Le XVIIIe siècle est l’apogée de la république oligarchique, creuset d’idées politiques, foyer de sciences et d’innovations techniques, dispensateur de crédit aux grands États du continent. Après l’éclipse de la période consulaire et impériale où Genève, annexée à la France, est réduite au rôle de préfecture du département du Léman, la Restauration ramène l’ancien régime, agrandit le territoire et négocie l’entrée dans la Confédération helvétique. La révolution radicale de 1846 porte au pouvoir la bourgeoisie d’affaires qui donne au canton une constitution démocratique. La cité perd sa prépondérance horlogère et s’adapte difficilement aux nouvelles conditions de l’économie continentale. Dès 1863, le «mythe de Genève» s’institutionnalise avec la création de la Croix-Rouge. Dans les dernières décennies du XIXe siècle se mettent en place les fonctions actuelles, qui se consolident au lendemain des deux guerres mondiales: l’industrie métallurgique de haute précision, née de la seconde «révolution industrielle» de la houille blanche; la banque et la finance; le siège d’institutions internationales.

Des origines à l’indépendance

Genève naît au Néolithique, dans la rade du lac Léman où les populations préceltiques édifient une vaste cité lacustre. L’éperon de mollasse qui porte la haute ville actuelle commande le passage du Rhône, dans un double site d’oppidum et de pont. À partir du Ve siècle avant notre ère, les Celtes en font un poste avancé, aux confins septentrionaux du territoire des Allobroges, et un village fortifié est bâti, au bord du chemin de crête de la colline. À la fin du IIe siècle avant J.-C., la conquête romaine lui assigne le rôle d’oppidum , aux frontières de la Narbonnaise. La bourgade entre dans l’histoire en 58, sous son nom ligure latinisé en Genua , par une mention des Commentaires (De bello Gallico ) de César qui l’utilise comme base de résistance contre les Helvètes. Pendant les trois premiers siècles de notre ère, la paix romaine permet au carrefour routier qu’est Genève de jouer un rôle régional. Les communications convergent du nord, par le plateau suisse, du Jura, par le col de Jougne, du Valais et de l’Italie (Grand-Saint-Bernard), par les rives du lac, pour continuer vers l’axe rhodanien, à travers la cluse de Bellegarde-Nantua et l’avant-pays savoyard. Genève est un marché local que les Alamans menacent, puis ruinent, dès 259. Élevée par l’empereur Gratien au rang de civitas , elle est le siège d’un évêché suffragant de Vienne. De 443 à 534, c’est la capitale du Royaume des Burgondes, envahisseurs germaniques sédentarisés et christianisés. La cité mène une vie effacée pendant les périodes franque et carolingienne. Après le partage de 870 (traité de Meersen), elle échoit à Louis le Germanique. Au cours du second royaume de Bourgogne (888-1032) se met en place le système féodal, où s’effectue l’ascension de la dynastie des comtes de Genevois.

La cité épiscopale (1032-1533)

Un conflit de souveraineté naît entre les comtes de Genevois, qui possèdent le diocèse, étendu sur la plus grande partie de la Savoie septentrionale et sur les marches du Bugey et du Valromey, et l’évêque, chef spirituel mais aussi souverain temporel et prince d’Empire. Par l’accord de Seyssel (1124), le prélat se fait reconnaître une prépondérance qui lui est bientôt contestée par la communauté des bourgeois dont l’importance économique s’accroît. En 1387, ils obtiennent une charte de franchises de l’évêque Adhémar Fabri. Une lutte d’influence complexe oppose les citoyens au prince-évêque puis, après l’extinction des comtes de Genevois, en 1394, à la maison de Savoie qui recueille leur succession et entend faire de Genève le centre politique et commercial de ses États. Pour y parvenir, les comtes de Savoie tentent de contrôler l’évêché en y plaçant leurs créatures ou des membres de leur famille. Par un réflexe de défense, les habitants se tournent vers Berne et Fribourg et, dès 1477, signent avec ces cantons une série de traités de combourgeoisie. L’enjeu de la rivalité entre les trois pouvoirs est aiguisé par la prospérité qui découle des foires. Attestés dès 1187, les quatre grands marchés annuels sont stimulés par la décadence des foires de Champagne et ils atteignent à leur plus haute renommée dans la première moitié du XVe siècle. La ville, qui compte alors un peu plus de 10 000 habitants, est, au contact de l’Europe du Nord et du monde méditerranéen, une place d’échanges entre marchands venus surtout de l’Italie du Nord, de la France rhodanienne et méridionale, de la Suisse alémanique et de l’Allemagne du Sud, et aussi des Flandres, de Venise et de la Catalogne. Mais, à partir de 1450, s’amorce un déclin. Il est dû, en partie, aux mesures prises par Louis XI pour favoriser Lyon, la rivale principale de Genève, mais aussi au fait que la puissance démographique et monétaire des grands États continentaux éclipse, désormais, le rôle de marché franc de villes sans territoire, comme Genève.

La période des foires vaut à la cité un brillant essor urbain, avec la construction de nombreuses maisons fortes, de couvents, de la cathédrale gothique de Saint-Pierre. Dès 1478, l’imprimerie est introduite par des typographes allemands. Genève est alors une capitale régionale, rivale de Chambéry, pour toute la Savoie du Nord, fonction qu’elle perdra, après la Réforme, sans jamais pouvoir la retrouver durablement. Les marchands alémaniques apportent les idées nouvelles de Luther et de Zwingli et font des adeptes parmi les bourgeois. La volonté du retour à un christianisme proche de ses sources bibliques se conjugue avec le désir de s’émanciper du joug des tenants de l’ordre ancien: l’évêque et le duc de Savoie. Dès 1530, les citoyens se préparent à la lutte et font raser les faubourgs extérieurs pour concentrer la population à l’intérieur de l’enceinte. En juillet 1533, l’évêque Pierre de la Baume quitte clandestinement sa résidence pour se réfugier à Annecy, laissant le champ libre aux huguenots.

La Réforme et l’indépendance genevoise (1533-1603)

Le 21 mai 1536, le Conseil général des habitants décide d’abolir l’autorité épiscopale, pour vivre selon la parole de Dieu. Les premiers prédicateurs réformés, les Dauphinois Guillaume Farel et Antoine Froment, retiennent dans la cité Calvin, qui y demeure de 1536 à 1539. Sa rigueur et son austérité suscitent contre lui l’opposition des «libertins» qui obtiennent son renvoi, mais il revient, définitivement, en 1541, jusqu’à sa mort, en 1564. La Réforme suscite une violente réaction savoyarde et, en 1536, Genève, bloquée par les troupes ducales, n’est dégagée que par le secours de Berne qui reconnaît l’indépendance de la petite république. La guerre se rallume en 1589 et, avec l’aide de contingents suisses, les Genevois, alliés de la France, tiennent et occupent le pays de Gex et le Chablais. La lutte entre le duc de Savoie Charles-Emmanuel Ier et Henri IV se termine en 1601, par le traité de Lyon qui ne règle pas le sort de Genève. Le duc tente alors de s’emparer de la ville par surprise, mais l’«escalade» de la nuit du 11 au 12 décembre 1602 échoue. La médiation des cantons suisses aboutit au traité de Saint-Julien (11 juillet 1603) qui sanctionna l’indépendance de la République.

Sur le plan intérieur, Jean Calvin a imposé sa marque personnelle aux institutions et organisé une véritable théocratie, sur la base d’une collaboration étroite entre l’Église réformée et le pouvoir politique. Entre 1549 et 1587, 8 000 huguenots persécutés se réfugient, avec leurs familles, dans la «Rome protestante». Cet afflux d’une élite intellectuelle et morale, d’origine surtout française et, dans une moindre mesure, italienne et allemande, infuse un sang nouveau à la cité. Foyer d’humanisme, avec la fondation de l’Académie (1559), Genève acquiert une dimension politique européenne qui contraste avec l’exiguïté de son territoire et la faiblesse numérique de sa population. Jusqu’en 1798, en effet, la république ne se compose que de la cité, enfermée dans ses murailles, et des deux mandements de Jussy, à l’est, et de Peney, à l’ouest, étroitement enclavés dans les terres savoyardes et françaises.

Genève, ville internationale

L’affirmation du rôle international (1603-1798)

Après la grave récession qui suit la disparition des foires, Genève devient l’un des plus grands centres européens d’accumulation de richesses. Au-delà de son environnement proche, la cité tisse un réseau de relations lointaines. La révocation de l’édit de Nantes (1685) lui vaut le nouvel apport de population française du «second refuge», mais l’accroissement démographique est lent et on ne dénombre encore que 26 140 habitants en 1789. Des cessions et des échanges avec la France (traité de Paris, 1749) et avec la Sardaigne (traité de Turin, 1754) agrandissent un peu le territoire de la république qui met en œuvre une vigilante politique de subsistances, par la création de la Chambre des blés et la pratique d’une agriculture intensive. Elle cherche, pour sa main-d’œuvre, une activité à haut rendement, élaborant des matières premières nobles et peu volumineuses. L’horlogerie, apportée par des réfugiés français, répond à ces conditions et la Fabrique, qui ne cesse de prospérer, compte, en 1786, 6 000 «cabinotiers». Il s’y ajoute l’imprimerie de livres religieux, puis l’orfèvrerie, l’émaillerie, les rubans, les épingles et les indiennes. Les bénéfices sont investis dans la banque et Genève devient une des premières places financières du continent. Ses maisons rayonnent sur l’Europe entière et leurs chefs (Jacques Necker, Étienne Clavière) commencent à se fixer à Paris.

La prospérité matérielle suscite un âge d’or intellectuel et scientifique. La cité attire tous les voyageurs cultivés; Voltaire y réside et Rousseau n’oublie pas sa patrie. Les talents foisonnent dans les arts, la médecine (les Tronchin) et surtout les sciences, avec les botanistes (les de Candolle), les naturalistes, les géologues et physiciens (de Saussure), les mathématiciens et les inventeurs. Mais la vie politique est très agitée, avec des tensions internes et des émeutes souvent sanglantes. La cité est gouvernée par une aristocratie de fait qui a dépossédé le peuple de ses pouvoirs et qui impose son autorité aux habitants (les «natifs») et aux «sujets». Genève est l’un des creusets idéologiques de la «révolution atlantique» qui culminera à la fin du XVIIIe siècle. L’opposition au clan conservateur des «Négatifs» suscite les interventions de Berne, de la France et de la Sardaigne («prises d’armes» de 1738, 1767, 1782).

L’éclipse de la période française et la Restauration (1798-1846)

L’influence de la Révolution française exaspère les ennemis du régime oligarchique et, le 15 avril 1798, l’action des jacobins locaux, combinée avec l’attaque des troupes du Directoire, aboutit à l’annexion de la république à la «Grande Nation». La période française, qui dure jusqu’à la chute de Napoléon, est pour Genève une ère de profonde dépression économique et de sourd mécontentement. La guerre et le Blocus continental ruinent les industriels et les banquiers. La préfecture du Léman aspire à retrouver son indépendance et, le 31 décembre 1813, au lendemain du départ des troupes françaises, les membres de l’aristocratie restaurent la république et rétablissent l’ancien régime. Au congrès de Vienne, les délégués genevois, Pictet de Rochement et Francis d’Ivernois, obtiennent la cession de douze communes savoyardes et le second traité de Paris (20 novembre 1815), avec la France, y ajoute six communes du pays de Gex. Les lignes douanières sont fixées au-delà des frontières sarde et française, pour constituer des zones franches. Le territoire ainsi «arrondi» entre, comme canton, dans la Confédération suisse, le 19 mai 1815. Au cours de la première moitié du XIXe siècle, Genève voit disparaître son industrie textile, mais elle retrouve ses activités bancaires et horlogères. La bourgeoisie libérale et les ouvriers instruits réclament une démocratisation des institutions, partiellement réalisée par la Constitution de 1841. Lorsque le gouvernement refuse d’agir contre la sécession catholique du Sonderbund, la révolution populaire du 7 octobre 1846 porte au pouvoir les radicaux et leur chef, James Fazy.

La Genève radicale

La Constitution de 1847 établit une démocratie élective, fondée sur le suffrage universel. Les radicaux et les démocrates demeurent presque constamment au pouvoir, jusqu’en 1914. Au milieu d’âpres polémiques avec les conservateurs, ils mènent une politique de laïcisation de l’État, jalonnée par les lois du Kulturkampf contre le clergé catholique (1873) et la séparation de l’Église et de l’État (1907). Fazy, homme d’affaires entreprenant, donne à la cité son visage actuel, en rasant les fortifications. L’agglomération passe de 31 238 habitants en 1850 à 131 568 en 1915. Mais Genève, éloignée des ports et des gisements de houille et de fer, s’adapte difficilement à la nouvelle économie européenne. Elle perd la «bataille des chemins de fer» et profite assez peu des grandes percées alpines. À partir des dernières années du XIXe siècle, la houille blanche relance l’économie, avec l’essor de la mécanique de précision et de l’électrotechnique. En 1860, le rattachement de la Savoie à la France apporte, à défaut d’agrandissements territoriaux escomptés, la Grande Zone franche et la reprise d’un rôle de marché régional.

Mais c’est bien la fonction internationale qui s’affirme, avec la naissance de la Croix Rouge internationale, le 22 août 1864. Cette fonction se développera avec l’établissement, après la Première Guerre mondiale, de la Société des Nations. Genève devient alors une capitale internationale, rôle qu’elle conserve aujourd’hui. De nombreux organismes internationaux y ont en effet leur siège, tels l’Organisation internationale du travail, l’Organisation mondiale de la santé, le Centre d’études et de recherches nucléaires.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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